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La recherche sur l’ARN : un brin d’espoir dans la lutte contre le syndrome de Schinzel Giedion

Il y a des maladies bien connues du public. Des maladies dont le nom évoque immédiatement des slogans et des mots-clics, ou qui font l’objet de mois de sensibilisation, de marathons et de publicités à la télévision. Et puis, il y a les maladies rares. Des maladies aux noms peu évocateurs, qui sont trop peu étudiées et n’attirent pas de financement. Des maladies dont le diagnostic est difficile à établir et qui, dans l’ombre, bouleversent le quotidien des familles.

Le syndrome de Schinzel-Giedion fait partie de ces maladies rarissimes. À ce jour, moins de 150 personnes ont reçu ce diagnostic dans le monde. Ce nombre se limite aux patients et patientes et n’inclut pas les autres personnes dont la vie est également chamboulée. Cette maladie touche exclusivement les enfants, et rares sont ceux qui survivent au-delà de leur première décennie. Les parents, la fratrie et les personnes soignantes doivent composer avec une situation médicale des plus complexes. Le syndrome de Schinzel-Giedion prive les jeunes patients d’une enfance normale, leur quotidien étant ponctué de crises convulsives constantes, d’atteintes à divers organes, d’infections, de retards de développement et d’innombrables visites à l’hôpital.

Mais une lueur d’espoir se profile Ă  l’horizon pour une famille, lueur qui Ă©mane de MontrĂ©al, au Canada, oĂą un projet rĂ©volutionnaire de traitement Ă  base d’ARN prend forme sous la direction du professeur Carl Ernst, de l’UniversitĂ© ɬŔď·¬. Le professeur Ernst est le chercheur principal de l’étude intitulĂ©e « Un traitement par l’ARN contre une maladie ultra rare », financĂ©e par l’initiative D2R. Son travail, qui se situe Ă  la croisĂ©e de la science et de la compassion, porte principalement sur les troubles neurodĂ©veloppementaux rares, dont le syndrome de Schinzel‑Giedion.

La rareté, source d’obstacles

Le syndrome de Schinzel-Giedion est un trouble multisystémique causé par la mutation d’un gène appelé SETBP1. Cette mutation entraîne une accumulation très importante de la protéine SETBP1 dans le cerveau et d’autres organes, accumulation qui perturbe la croissance et la communication entre les gènes. Cette protéine hyperactive nuit au développement du cerveau et des organes au cours des premiers stades cruciaux de la vie, ce qui entraîne divers symptômes physiques et neurologiques. L’avalanche de symptômes chez un nouveau-né incapable de s’exprimer est problématique tant pour les parents que pour les prestataires de soins. De plus, en raison de la rareté de ce syndrome, la documentation sur le sujet est lacunaire, si bien que le chemin vers le diagnostic est beaucoup plus sinueux que pour des maladies plus courantes.

Alexander avait quatre mois lorsque ses parents ont appris qu’il souffrait du syndrome de Schinzel-Giedion. Sa mère, Andrea, se souvient que l’équipe médicale lui ayant fait part du diagnostic n’a pas été en mesure de préciser quelles étaient les étapes à venir; tout ce qu’elle a pu dire, c’est que l’espérance de vie moyenne était de 48 mois. La petite famille a quitté l’hôpital dans l’incertitude avec, à la main, une feuille répertoriant les symptômes de la maladie ainsi que les spécialistes à consulter. « Quelqu’un pour les reins, quelqu’un pour la vessie, quelqu’un pour le cerveau, quelqu’un pour les os », énumère-t-elle. « Un spécialiste par symptôme, mais aucun traitement contre le syndrome lui-même. » Sans espoir de traitement, cette famille, comme tant d’autres devant composer avec une maladie ultra rare, se sentait complètement perdue… jusqu’à ce qu’elle entende parler du professeur Carl Ernst et de ses recherches.

dr munchatef explains alex's first procedure

La médecine de précision en action

Dans son laboratoire, le professeur Ernst se consacre à l’étude de la génétique fonctionnelle de troubles neurodéveloppementaux rares altérant la qualité de vie, dont le syndrome de Schinzel-Giedion. Depuis plus de cinq ans, il travaille en étroite collaboration avec la Fondation du syndrome de Schinzel-Giedion en faveur d’une approche translationnelle axée sur la patientèle. L’assistance aux enfants et aux familles a toujours été au cœur du travail du professeur Ernst, anciennement préposé aux soins personnels travaillant auprès d’enfants handicapés.

À l’aide d’oligonucléotides antisens, l’équipe du professeur Ernst a réussi à réduire les taux de protéine SETBP1 dans des cellules cérébrales progénitrices provenant de personnes atteintes du syndrome et dans des modèles murins de la maladie. La réduction du niveau d’ARN messager de SETBP1 pourrait permettre de traiter le syndrome à la source plutôt que de s’attaquer à ses symptômes. Le passage du laboratoire à la clinique est rendu possible grâce au programme Recherche à visée translationnelle de D2R.

Ce programme de financement a pour objectif d’accélérer la transformation en traitements concrets de découvertes à grande échelle basées sur l’ARN, triées sur le volet. Le programme Recherche à visée translationnelle fait partie des rares programmes au Canada priorisant les projets qui répondent directement à des besoins non satisfaits dans les domaines de l’oncologie, des maladies infectieuses ou des maladies rares. Ces travaux doivent également être fondés sur une approche unique justifiant le choix de traitements à base d’ARN. Grâce à ce financement, l’équipe du professeur Ernst, forte d’une vaste collaboration entre scientifiques et prestataires de soins de l’Hôpital de Montréal pour enfants et de l’Hôpital Sainte-Justine, travaillera à la mise au point et à l’administration d’un traitement à base d’ARN contre le syndrome de Schinzel-Giedion. Ce type de traitement offre une approche ciblée et précise, spécialement adaptée à Alexander.

« C’est le type de recherche de pointe que l’initiative D2R s’efforce de promouvoir », indique Philippe Gros, directeur scientifique de D2R. « Nous soutenons une science audacieuse souvent laissée de côté par les modèles de financement traditionnels. »

La réalisation d’essais cliniques chez un seul et unique patient est un mécanisme particulier de Santé Canada, mis en place à l’intention des chercheurs et des cliniciens canadiens pour les cas urgents et graves, comme celui d’Alexander. Il permet aux patients qui ont peu d’options à leur disposition d’avoir accès à des traitements qui pourraient leur sauver la vie. Dans ce modèle, on privilégie l’urgence et la compassion, sans pour autant compromettre l’innocuité. Bien qu’il soit conçu pour traiter uniquement Alexander, cet essai pourrait ouvrir la voie à un traitement pour tous les enfants atteints du syndrome de Schinzel-Giedion.

Une famille Ă  qui la chance a souri

Une rencontre avec la famille d’Alexander, c’est un accès direct au cœur derrière la science. Rafael, le père d’Alexander, explique que sa conjointe et lui font simplement ce que tous les parents feraient à leur place : protéger et défendre son enfant. Leur vie quotidienne est celle d’une famille de trois enfants de moins de cinq ans – dont l’un est aux prises avec des problèmes médicaux complexes – dont les deux parents travaillent. Le chaos typique de la vie de famille fait bien sûr partie de leur quotidien, auquel s’ajoutent la surveillance du taux d’oxygène dans le sang d’Alexander et l’aspiration de ses sécrétions. Cependant, Rafael et Andrea gardent la foi, malgré les difficultés. « Alex est venu à nous. Il était destiné à faire partie de notre famille. Nous avons un pédiatre formidable pour nous accompagner, des employeurs qui nous offrent de la souplesse et une assurance maladie, des garderies médicales qui nous accueillent et des familles qui nous épaulent. » Andrea ajoute : « Et nous avons été choisis pour participer à cet essai. Nous avons vraiment de la chance. »

Les familles qui ont un enfant atteint d’une maladie complexe comprennent les réalités d’un système de santé qui peut changer de visage complètement d’une ville à une autre. Un pédiatre sera difficile à joindre; un autre hésitera à orienter sa patientèle. En fait, on a l’impression d’avoir gagné le gros lot simplement parce qu’on a accès à un pédiatre. Les parents et les personnes soignantes doivent donc devenir des experts de la maladie de leur enfant et être prêts à le défendre bec et ongles.

Les parents d’Alexander veillent sans relâche aux intérêts de leur fils à toutes les étapes de la prise en charge, et l’essai clinique ne fait pas exception. Le traitement est expérimental, mais, comme le souligne Rafael : « En ce qui concerne le syndrome de Schinzel-Giedion, tout est expérimental. Des changements alimentaires aux interventions, en passant par le cocktail de médicaments, on ne sait jamais comment Alexander va réagir. On espère juste que tout ira pour le mieux. »

De l’incertitude à l’espoir

Cet essai ne s’est pas mis en place comme par magie, mais les étoiles doivent s’aligner pour qu’il se réalise. « Ce projet rassemble un grand nombre de personnes talentueuses issues de tous les horizons du monde universitaire, du personnel de soutien aux médecins, qui rendront possible l’administration du médicament à base d’ARN conçu dans mon laboratoire. La dose sera adaptée à Alexander, tout comme les critères d’évaluation », explique le professeur Ernst. « C’est la précision à l’œuvre, dans la médecine comme dans les résultats, rien que pour Alex. »

alex's mom discussing with medical team about alex's needs

En outre, le fait que la famille d’Alexander vive dans un autre pays ajoute une couche supplémentaire de complexité à la situation. Puisque la famille fera fréquemment la navette entre Miami et Montréal pendant le traitement, il faut prévoir chaque détail, par exemple, où la petite famille passera la nuit après l’administration du traitement. « Je pourrais dormir sur une roche, cela m’est égal », commente Rafael, « c’est le confort et la sécurité d’Alexander qui comptent. » Encore une fois, les parents d’Alexander ont une priorité : prendre soin de leur enfant.

Ce projet, c’est plus qu’un essai clinique. Il incarne le souhait d’une famille d’offrir des moments de paix à son enfant. Au cours de sa première année de vie, Alexander a subi en moyenne 90 crises convulsives par mois. Heureusement, ce nombre a diminué et s’établit actuellement à moins de 20. La famille espère maintenant que ce traitement à base d’ARN permette d’éliminer complètement ces crises. L’objectif est de redonner à Alexander ce que le syndrome de Schinzel-Giedion lui a enlevé, à lui et à sa famille : son premier rire, ses premiers mots, ses premiers pas. Et on espère qu’un jour, cette chance sera offerte à tous les enfants atteints du syndrome.

« Alex étant le premier, il pourrait ouvrir la voie à toutes les autres familles », souligne Andrea.

Les histoires comme celle d’Alexander sont au cœur de l’initiative D2R, créée pour que les avancées scientifiques les plus prometteuses dans le domaine de l’ARN se transforment en traitements concrets, accessibles à tous. En permettant à des chercheurs comme le professeur Ernst de travailler rapidement et de collaborer avec d’autres scientifiques, D2R vise à transformer la recherche sur les maladies rares et à offrir à toutes les familles la possibilité d’imaginer un avenir sous le signe non pas de la peur, mais bien de l’espoir.

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